De la cristallisation amoureuse. Stendhal
Aux mines de sel de Salzbourg, on jette dans les profondeurs abandonnées de la mine un rameau d’arbre effeuillé par l’hiver : deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes. Les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grandes que la patte d’une mésange, sont garnies d’une infinité de diamants mobiles et éblouissants. on ne peut plus reconnaître le rameau primitif. Ce que j’appelle cristallisation, c’est l’opération de l’esprit qui tire de tout ce qui se présente, la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections. Stendhal
En 1818 Stendhal a 35ans, il rencontre Mathilde Dembowski une jeune bourgeoise milanaise. Il éprouve un amour fou mais non partagé et il connaîtra une désillusion amoureuse. Il expliquera alors comment lui est venue l'idée d'employer l'analogie entre les sentiments amoureux et le processus naturel de la cristallisation dans le chapitre « Le rameau de Salzbourg ». En 1818, visitant des mines de sel à Hallein, près de Salzbourg, avec Madame Gherardi et des amis, il observe pour la première fois le phénomène naturel de la cristallisation sur une branche.
Un jeune officier bavarois qui les accompagnait, en train de « tomber amoureux à vue d'oeil », vante des qualités insoupçonnées de Madame Gherardi. Stendhal explique à son amie ce qui est en train de se produire, et lui propose son analogie, qu'elle comprend ainsi : au moment où vous commencez à vous occuper d'une femme, vous ne la voyez plus telle qu'elle est réellement, mais telle qu'il vous convient qu'elle soit. Vous comparez les illusions favorables que produit ce commencement d'intérêt à ces jolis diamants qui cachent la branche de charmille effeuillée par l'hiver, et qui ne sont aperçus, remarquez-le bien, que par l'œil de ce jeune homme qui commence à aimer.
Plus tard, Madame Gherardi, désirant expliquer les différentes étapes de la cristallisation, propose une comparaison avec un trajet qui partirait de Bologne, l'indifférence, pour aller à Rome, l'amour parfait.
En 1822 il fait paraître De l’Amour où il développe la célèbre théorie de la cristallisation. L’essai selon ses dires ne connaîtra qu’une centaine de lecteurs. Stendhal y classe et analyse les différentes catégories de l’amour. L’amour est présenté comme un produit imaginaire et une illusion en attente de désillusion. Il n’est pas « parfois » dans l’erreur ; l’erreur est constitutive de sa naissance et de son essence. Le terme est à rapprocher de la notion de « projection » en psychanalyse dans la mesure ou le sujet épris d’amour, « projette » sur l’objet aimé des qualités que lui aime, mais que l’objet n’a pas.
La thèse explique fort bien l’échec amoureux mais faut-il l’étendre et en faire l’essence du sentiment amoureux et une règle générale ? L’amant peut être animé d’un désir de s’unir à un être non point parfait, mais supérieur dans un domaine, doué d’une perfection particulière qui l’amène à l’admiration et au dépassement de soi. Amour qui révèle et guide vers ce qui n’était pas ou mal connu, et non amour qui aveugle.
Commentaire : Le sel rend amoureux c'est bien connu !